Conversation avec Shaun Levin (Jameson Currier)

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En tant qu’admirateur de Shaun Levin, j’ai toujours du plaisir à retrouver ses œuvres en ligne ou dans des anthologies. Shaun vit à Londres où il a fondé Treehouse Press. Les Writing Maps, sa dernière production en date, offrent une caisse à outils originale pour stimuler l’écriture ; étudiants, professeurs et même écrivains les ont adoptées avec enthousiasme. J’ai récemment contacté Shaun pour lui demander des nouvelles ses nouveaux projets.

Photo Simon Pruciak

Jameson Currier : Les Writing Maps connaissent un grand succès. D’où t’est venue l’idée ?

Shaun Levin : Le projet a mûri pour ainsi dire naturellement à partir de ma pratique personnelle de l’écriture, de mes ateliers, et de certaines de mes fascinations, en particulier pour les cartes d’artistes et pour les diverses formes de cartographie créative. J’ai dirigé des ateliers partout dans Londres et, au bout de plusieurs années, j’ai ressenti le besoin de faire une synthèse ; plutôt que d’ajouter un énième titre à la liste de guides d’écriture créative existants, j’ai essayé de réfléchir à un nouveau mode de présentation pour réunir ces centaines d’exercices et d’activités dont je m’étais servi et c’est ainsi que de fil en aiguille sont nées les Writing Maps !

Jameson Currier : Comment élabores-tu ces Writing Maps ? Qui en sont les illustrateurs et comment les trouves-tu ?

Shaun Levin : Le processus est essentiellement collaboratif. J’envoie les consignes à l’illustrateur – j’en prends à chaque fois à un nouveau – qui élabore un modèle que l’on retravaille ensuite ensemble. Une carte peut s’élaborer en quelques semaines comme en plusieurs mois. J’ai trouvé chacun des illustrateurs sur PeoplePerHour, un trésor de ressources et de talents artistiques étonnants.

Jameson Currier : Comment les cartes sont-elles exploitées dans le processus d’écriture ?

Shaun Levin : Chaque Writing Map réunit une série d’activités qui peuvent être utiles pour la fiction comme pour la non-fiction. La plupart donnent des idées pour construire des récits isolés, mais elles peuvent également servir à développer des textes plus longs ou à soutenir une pratique quotidienne de l’écriture. Les Writing Maps peuvent être utilisées par un groupe de plusieurs personnes ou seul à son bureau et, comme elles passent partout, on peut les emporter dans les cafés, dans les trains, ou dans n’importe quel endroit propice à l’écriture pour stimuler l’inspiration.

Jameson Currier : Ces Writing Maps s’adressent-elles uniquement aux écrivains ? Aux Londoniens ? Ou à tout le monde ?

Shaun Levin : Il n’est vraiment pas nécessaire d’être écrivain pour s’intéresser aux Writing Maps. Les activités sont d’ailleurs très utiles à l’oral aussi. Je connais une thérapeute qui encourage ses patients à les utiliser pour explorer leurs histoires personnelles. Les Writing Maps s’adressent vraiment à n’importe qui, n’importe où, même si certaines m’ont été inspirées spécifiquement par Londres, où je suis installé depuis près d’une vingtaine d’années et qui me fournit sans cesse de nouvelles histoires ainsi que de nouveaux endroits pour écrire.

Jameson Currier : Qu’en est-il de Treehouse Press ? En quelle année as-tu fondé cette maison, et pour quelles raisons ?

Shaun Levin : J’ai fondé Treehouse Press en 2009 avec Andra Simons et Raffaele Teo, le graphiste avec lequel j’avais déjà travaillé pour Chroma. Andra et moi avions des livres à publier et comme trouver un éditeur risquait de prendre du temps, on s’est dit : autant le faire nous-mêmes. On a donc commencé avec nos livres, The Joshua Tales et Snapshots of The Boy, après quoi on a enchaîné avec d’autres auteurs. Il faut lire The Hex Artist, de Lou Dellaguzzo : c’est l’un des auteurs queer les plus originaux qui existent aujourd’hui. Son travail est époustouflant.

Jameson Currier : Bientôt de nouvelles publications chez Treehouse ?

Shaun Levin : On a un recueil d’essais sur des librairies queer en préparation depuis déjà un bon bout de temps. J’espère que ça va paraître bientôt ! J’ai déjà quinze essais ; il ne me manque plus qu’un peu de temps et d’énergie pour me concentrer sur le recueil en tant que tel.

Jameson Currier : Tu cumules les activités : ateliers, écriture, édition… Où trouves-tu le temps de tout faire ?

Shaun Levin : Je ne suis pas sûr d’y arriver ! Tout finit toujours par se faire, mais certaines choses prennent plus de temps que d’autres. Ça va par phases. La principale difficulté, c’est de veiller à ce que l’écriture reste au centre du tableau. Comme j’ai terminé un roman l’année dernière, je reprends un peu mon souffle avant de me replonger dans mon prochain grand projet, qui tournera autour de la vie du peintre britannique David Bomberg. Pour le moment, je travaille sur quelques nouvelles restées en plan depuis bien trop longtemps, et sur deux essais. J’ai envie de ralentir sur les ateliers d’écriture cette année, mais il faut payer les factures, et c’est aussi un vrai plaisir.

Jameson Currier : Qu’est-ce qui te plaît le plus, dans ces ateliers ?

Shaun Levin : Le calme. Un de mes étudiants m’a dit tout récemment qu’il aimait beaucoup ces deux heures dans la semaine où l’écriture est la seule chose qui compte. L’avantage, quand on travaille à son propre compte, c’est qu’on n’a pas à évaluer le travail des gens ni à suivre un programme ou à trouver des solutions pour tout. L’écriture est au centre de mes ateliers. J’essaie d’amener mes étudiants à une pratique régulière de l’écriture et de les familiariser avec des processus divers, avec des perspectives diverses. De leur donner, au fond, un aperçu du très large éventail de possibilités qui s’offrent à nous pour mettre les choses par écrit.

Jameson Currier : Dans quelle partie du monde as-tu grandi ? À quelle époque t’es-tu installé à Londres, et pour quelles raisons ?

Shaun Levin : J’ai grandi en Afrique du Sud jusqu’à l’âge de quinze ans, environ, après quoi ma famille s’est installée en Israël, où j’ai passé les quinze années suivantes. Je suis arrivé à Londres à un peu plus de trente ans, et j’y vis depuis près de vingt ans. J’étais à la fois en fuite et en quête. Je fuyais la politique israélienne et le sentiment d’impuissance général que j’avais quant à la paix et à la cohabitation dans cette partie du monde. Je voulais aussi de nouveau vivre en anglais et être entouré de cette langue qui était ma langue d’écriture ; comme je venais de commencer à publier (des nouvelles dans The Evergreen Chronicles et Harrington Gay Men’s Fiction Quarterly), je me disais que Londres était sans doute l’endroit qu’il me fallait. L’Amérique me semblait trop loin, même si beaucoup des écrivains que j’aime viennent de là !

Jameson Currier : Quels sont les écrivains qui t’ont influencé ?

Shaun Levin : Les écrivains qui m’ont donné envie d’écrire sont John Preston, Andrew Holleran, Zora Neale Hurston, ainsi que le merveilleux Christopher Coe, dont j’ai relu Such Times plus d’une douzaine de fois. Ces écrivains m’ont donné l’impression d’être eux et, par là même, de me raconter l’histoire… je ne veux pas dire d’une « communauté », mais des gens qui les entouraient. Des gens qui les avaient nourris, formés. C’était aussi cela que je voulais faire dans mon œuvre, rapporter des nouvelles du kraal et du champ de bataille.

Jameson Currier : Quelles sont tes lectures, en ce moment ?

Shaun Levin : J’ai toujours plus ou moins quatre lectures en cours. Je viens de relire La Métamorphose de Kafka, qui fut d’ailleurs comme une redécouverte. Sinon, je suis plus ou moins loin dans The Suitcase de Sergei Dovlatov, The Lonely Londoners de Sam Selvon, et Tentative d’épuisement d’un lieu parisien de Georges Perec. J’aime m’immerger dans le genre d’écriture dont je veux m’inspirer !

Jameson Currier : Quels écrivains gays britanniques recommandes-tu ?

Shaun Levin : J’aime particulièrement l’œuvre de La JohnJoseph. On avait publié une magnifique nouvelle de lui dans Chroma il y a près d’une dizaine d’années et j’aurai longtemps attendu son premier roman, Everything Must Go. Sina Sparrow est un auteur de bandes dessinées que j’apprécie beaucoup. Et il y a aussi Eric Karl Anderson, un Américain qui vit à Londres ; tout ce qu’il écrit est intéressant.

Shaun Levin est un écrivain sud-africain qui vit à Londres. Il est l’auteur de Sept petites douceurs, du Garçon en polaroïds, et de trois autres livres. Il a fondé le magazine littéraire Chroma et la maison d’édition Treehouse Press. Il donne des ateliers d’écriture, et il a créé les Writing Maps, un outil original pour stimuler l’écriture. Ses nouvelles sont parues, entre autres, dans Between Men, Boyfriends from Hell, Modern South African Stories, Love, Christopher Street, et With: New Gay Fiction.

Jameson Currier, auteur de neuf romans et recueils de nouvelles, est également le fondateur de Chelsea Station Magazine.

Entretien réalisé par Jameson Currier pour Chelsea Station Magazine et traduit par Étienne Gomez.

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